Trompettes marines

Trompettes marines

Un soupir remonte à la surface : trois cercles irréguliers chargés d’air viennent éclore dans la mélancolie de la nuit d’été. Cette tranquillité argentée se brise, un instant ; l’éclat est brouillé toujours dans le but de réapparaître de plus belle. Renouveau constant, équilibre éternel. Une berceuse l’accompagne : le chant de la rivière.

C’est un chant qui ne saurait jamais lasser celui qui sait l’entendre. Berceuse créatrice, trop nombreux sont ceux qui n’y prêtent plus attention. L’ouïe se rétrécie, le champ de vision aussi ; seul compte le nombre de réactions autour du trophée fièrement capturé à jamais dans les mémoires du monde.

Mais celle-ci ne sait pas compter. Elle participe plutôt à la mélodie, pinçant le cordeau, bousculant les corps d’eau ; elle se fait trompette marine. Soupir de vie.

Elle ondule au gré du flux irrégulier du chant. Les éclats de la lune parcourant sa robe mouchetée viennent souligner la liberté de ses mouvements : danseuse aquatique. Il arrive même parfois qu’elle prenne son envol, l’espace d’un instant elle retient son souffle, quittant la fraîcheur du lit pour laisser la caresse du vent parcourir ses courbes. Et ce plongeon de retour dans l’étendue argentée, note la plus aiguë de la mélodie, sonne comme une cymbale qui viendrait surprendre celui qui s’abandonne entièrement aux modulations de la musique.

Pendant que le spectateur reprend ses esprits, inattendue acciacatura, la danseuse se faufile aisément entre les rochers pour rejoindre ses frères et sœurs. A leurs pieds se sont échoués des cadavres ; étincelants, translucides, métalliques ou encore d’une souplesse des plus étonnantes, le nombre de coloris n’en finit plus. Son regard hébété croise celui de sa mère qui vient à elle ; ondulations légères qui évitent soigneusement les piquants des squelettes dorés. Elle est inquiète, le petit frère n’est pas rentré.

Sans doute aucun de ces squelettes de ferraille ou de plastique n’auraient pu imaginer se retrouver pris au piège, étouffés par le corps visqueux du fond de la rivière ; entre les cailloux et les racines, trompes rigides, éternelle source de vie ; lorsqu’ils avaient vu le jour ce matin-même avant leurs premiers plongeons dans l’étendue miroitante. Valseurs émérites, tels des tourbillons de lumières – cymbalettes vertueuses ? -, ils accompagnent la cantabile en canon, l’imitant, bien que parfois maladroitement, d’une synonymie troublante, trompant ainsi ceux et celles qui ne savent dompter l’impatience du ventre.

 Mais alors pourrons-nous un jour réellement savoir si le chant de la rivière fut écrit pour être chanté ainsi ? Car si pour celui ou celle qui l’observe de haut il tend à résonner comme un apaisement intérieur, une poésie divine ou comme un retour réflexif sur l’essence-même de l’existence ; pour ces trompettes marines, gardiennes du courant, il semblerait davantage prendre la forme désolante d’un insoutenable requiem.

Ce soir, le petit frère a délaissé à tout jamais les modulations de la musique. Ses courbes à présent rigides ne sauront plus apprécier la caresse du vent qui pourtant l’accompagne à présent à la surface du courant dansant.

Le petit frère est mort.

Un soupir remonte à la surface et trois petites larmes salées s’en viennent rejoindre le flux irrégulier de cette tranquillité argentée dans la mélancolie de la nuit d’été.

 © Article rédigé par : Morgane Romero

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